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À la une : Noah, les coulisses de l’exploit!

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NOAH

LES COULISSES DE L’EXPLOIT

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EN 1983, YANNICK NOAH REMPORTE ROLAND-GARROS, SON SEUL TITRE MAJEUR. IL SUCCEDE À MARCEL BERNARD VAINQUEUR EN 1946. TRENTE-CINQ ANS PLUS TARD, LA FRANCE LUI CHERCHE TOUJOURS UN SUCCESSEUR. RECIT D’UNE QUINZAINE SUR UN NUAGE.

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L’AVANT ROLAND

Yannick Noah arrive Porte d’Auteuil en pleine confiance. Mi-mai, le Français vient de s’imposer à Hambourg en dominant Mats Wilander en quart de finale, puis José Higueras lors d’une finale au meilleur des cinq sets (3/6, 7/5, 6/2, 6/0). Lors du tournoi précédent à Madrid, Noah l’a aussi emporté grâce à des victoires sur de vrais spécialistes de la terre battue comme le Suédois Henrik Sundstrテカm, là encore à l’issue d’une finale en 4 manches ou face au Suisse Heinz Gunthardt (qui deviendra par la suite le coach de Steffi Graf). Plus tôt, à Lisbonne, le Français s’était incliné en finale contre Mats Wilander (2/6, 7/6, 6/4) et il avait atteint les quarts de finale à Monte Carlo. Ce bilan sur ocre le place parmi les favoris derrière Guillermo Vilas ou Wilander, tenant du titre. Seul bémol pour Noah, tête de série n°6, son passé à Roland-Garros où il n’a jamais pu faire mieux que quart-de-finaliste en 1981 et 1982.

Pour se préparer avec son coach de toujours Patrice Hagelauer, le Français se met au vert au Tennis Club de la Rochette, à côté de Melun. “On a bâché tout le court, personne ne venait nous regarder. Aucun spectateur, juste la dame qui s’occupait du club avec son mari, et des fois quelques membres”, se souvient Noah dans Le Monde. Conscient qu’il doit être prêt physiquement à enchaîner de longs matchs, il s’impose des séances intenses : “Patrice, c’était un entraîneur très dur. Ses séances étaient physiquement très éprouvantes. Avec lui, tu étais tout le temps au taquet. Je me souviens avoir fait la plus belle séance d’entraînement de ma vie. Il m’envoyait des balles gauche, droite, gauche, droite, amortie, lob, amortie, lob, gauche, droite, gauche, droite, amortie, lob, amortie, lob, gauche, droite, gauche, droite, amortie, lob… Je ne sais pas combien de balles peut contenir un chariot de supermarché, mais ce jour-là, j’ai vidé tout le chariot. Sans m’arrêter. Je l’ai fait une fois dans ma vie et c’était le jeudi avant le premier tour”.

DES DEBUTS TRANQUILLES

Le Français remporte très facilement ses deux premiers matches. Le premier contre l’un des seuls Suédois “non spécialiste de terre battue”, selon Noah, Anders Järryd (6-1, 6-0, 6-2). Associé à Edberg, Järryd est en revanche un redoutable joueur de double, qui en simple, atteindra tout de même la 5e place mondiale. Au second tour, Noah maîtrise face au Paraguayen Victor Pecci (6-4, 6-3, 6-3), qui l’avait pourtant éliminé en quarts de finale, ici même en 1981. Mais Yannick apprécie les joueurs offensifs, comme lui, surtout sur brique pilée. Vient le troisième tour contre l’Américain Pat Dupré, avec une victoire plus compliquée que le score le suggère (7-5, 7-6, 6-2). Noah savait que Dupré, au jeu offensif et à plat, n’était pas un grand fan de la terre battue et avouera l’avoir un peu sous-estimé. Qu’importe, le voilà en 2e semaine sans avoir trop puisé dans ses réserves, même s’il doit encore faire des réglages car Noah se sent très à l’aise sur les balles à hauteur d’épaule mais avoue avoir du mal dès que l’adversaire joue des coups rasants. 

DEUXIEME SEMAINE : LE CHOC CONTRE LENDL

La deuxième semaine démarre par une confrontation inattendue face à l’Australien John Alexander, 31 ans, tout juste sorti de deux longs combats en cinq sets (contre le Suédois Simonsson puis l’Américain Purcell). Mis à part la seconde manche un peu plus accrochée, Noah se régale contre ce joueur en fin de carrière mais 8e mondial en 1975 (6-2, 7-6, 6-1). 

En quart, se présente Ivan L”dl, alors n°ー3 mondial, un obstacle majeur. Le Tchèque âgé de 23 ans, n’est pas encore cette implacable machine à gagner, insensible à la pression. Et il arrive à Paris avec seulement deux tournois sur terre battue (défaites au 3e tour à Forest Hills et Hambourg), l’ocre n’étant pas (encore) une surface sur laquelle sa puissance s’exprime le mieux. Au meilleur de sa forme, Noah sort l’un des matchs les plus aboutis de sa carrière (7-6, 6-2, 5-7, 6-0). Lendl qui déteste jouer sous de fortes chaleurs paye peut-être son manque de préparation physique car il semble lâcher prise dans la 4e manche. Autre détail notable, Lendl n’aime pas jouer contre Noah car il se sent dominé physiquement par le Français. Personnalités très différentes, tant Noah est exubérant et Lendl dans la retenue, les deux hommes ne s’apprécient pas.

 “J’AI VIDE TOUT LE CHARIOT [DE BALLES]. JE L’AI FAIT UNE FOIS DANS MA VIE, C’ETAIT LE JEUDI AVANT LE 1er TOUR !”

 “Une demi-heure avant le match, j’arrête l’échauffement et je rentre au vestiaire, pour regarder la fin de l’autre quart. Contre toute attente, Vasselin bat Connors. àa me met un coup de boost incroyable!, explique Noah dans Le Monde. Parce que je ne perds pas contre Vasselin. Du coup, le match contre Lendl prend une autre dimension. Je sais en entrant sur le court que ma finale, c’est maintenant. J’ai un bon truc contre Lendl. Il est devant moi au classement, tout le temps : n°3, n°2, n°1, moi je suis n°4, n°5, n°6. Mais en un contre un, il y a match. La partie commence et je le domine. Je mène deux sets à zéro, 5-4 dans la troisième manche et j’ai deux balles de match sur son service. Et là, il est tellement frustré qu’il la joue : “Je balance le match, je m’en branle.” Il commence à ricaner quand je fais un point, genre “Je joue pas, c’est bon. Tu m’as battu, mais je ne me bats plus”. Je suis apaisé, je retourne dans ma bulle, et je lui mets 6-0. C’est la seule fois que je lui ai mis une roue de bicyclette. J’explose de joie. Lendl, je l’aime pas. Et avec tout le respect que j’ai pour mon pote Vasselin, je sais qu’en battant Lendl je suis en finale”.

EN ROUE LIBRE CONTRE ROGER-VASSELIN

Après Lendl, tout le monde s’attendait à un nouveau choc en demi-finale contre Jimmy Connors, n°ー1 mondial de l’époque et sept fois vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem, avant un dernier titre à l’US Open. Mais l’Américain ne parviendra jamais à donner sa pleine mesure à Paris où il fut demi-finaliste en 1979 et 1980. Connors n’a d’ailleurs disputé aucun tournoi sur ocre avant Roland-Garros 1983. Mais en quart de finale, Christophe Roger-Vasselin, alors 139e mondial, et seulement une victoire depuis le début de l’année sur le circuit en cinq tournois disputés, sort le match de sa vie (6-4, 6-4, 7-6). Christophe, le futur papa d’Edouard, est comme Noah un habitué du Racing Club de France où les deux hommes se fréquentent. Mais il n’a plus d’essence dans le réserv”ir et semble résigné par rapport au fait d’affronter un ami. Plus frais, tout simplement plus fort, Noah déroule (6-3, 6-0, 6-0).

“Le jour du match, pendant l’échauffement, je vois tout de suite qu’il est fatigué. C’est lui qui sert le premier et je fais le break d’entrée. Deuxième jeu, je sers sur son revers et je monte tout de suite à la volée. Vasselin fait un espèce de retour slicé lobé : la balle reste plus longtemps en l’air, et là, je fais le coup de ma vie. La balle est parfaite, je m’élève, je mets la gomme au niveau des cannes, mes quinze jours d’entraînement y passent, raconte Noah dans Le Monde. On joue en premier, il est onze heures, il n’y a pas grand monde dans le stade. L’effet est tel que la balle reste un dixième de seconde de plus en l’air, mais c’est comme si j’étais attiré. Et là, je lui balance un smash avec quinze jours de rage dans la raquette. La balle rebondit et va dans les tribunes. Je n’avais jamais vu ce coup.”

 L’APOTHEOSE DEVANT WILANDER

Le 5 juin 1983, jour de la finale, la Une de L’Equipe appelle la France entière à soutenir son champion. “50 millions de Noah”, titre le quotidien sportif. Yannick se met au vert au Racing Club de France : “Avant Roland-Garros, je venais souvent m’entraîner ici pour être au calme. J’ai même déjeuné au “self” de la Croix Catelan le jour de la finale contre Mats Wilander. Avec les copains, je me souviens j’étais très détendu. On avait mangé dehors, nous étions une dizaine. Il était tôt, vers midi, car la finale avait lieu à 15 heures. On s’est pris notre petit plateau. Je suis allé chercher les cafés pour tout le monde. C’est Hervé Cristiani, le chanteur, (également membre du club) qui m’a rappelé ça récemment : “Il m’a dit c’est incroyable tu allais disputer la finale d’un tournoi du Grand Chelem et c’est toi qui allait chercher les cafés pour tout le monde”.

Tenant du titre, le Suédois part favori mais le Français sent que son heure est venue. Que rien ne peut contrarier sa destinée : “Je suis complètement serein. J’avais eu peur qu’il pleuve, qu’il y ait du vent, que le match soit arrêté. Mais là, tout est en place. Il fait beau, mes potes sont là, je suis frais, je n’ai perdu qu’un set depuis le début et mes problèmes de dos sont réglés. Je suis prêt. C’est mon moment. Il n’y a plus qu’à aller chercher le truc.

Dans le vestiaire, au début du tournoi, il y a deux cents personnes. Là, on est deux avec Mats, plus les coachs. Chacun dans son coin. Je n’avais pas peur de Wilander. Ok, c’était le tenant du titre mais je l’avais battu proprement (6-4, 6-4) quelques semaines plus tôt à Hambourg. J’étais vraiment en confiance contre Mats. Il avait un jeu qui me convenait. Il jouait les balles au-dessus des hanches, des balles bien propres, pas vicieuses. Je pouvais m’appuyer dessus, attaquer, développer mon jeu, tranquille”, indique le Français dans Le Monde.

Offensif, tranchant à la volée, Noah part en trombe pour s’adjuger le premier set (6-2). Et si Wilander commence à se régler et à mieux défendre, il s’impose logiquement en trois sets (6-2, 7-5, 7-6), montrant qu’un tennis offensif reste efficace sur terre battue. La France attendait “son” vainqueur depuis 37 ans. Le court central est en liesse. Yannick Noah se jette dans les bras de son père, Zacharie, ancien footballeur professionnel, qui a bondi pour venir sur le terrain. “Il y a plein de fumée. Quand je me relève et que je me retourne, je les cherche, mon père, ma mère, tous ceux de ma famille… C’est à cet instant que Papa saute. J’ai peur qu’il se fasse mal… Mais plus rien, ni personne ne l’arrête… II fonce sur moi, bras ouverts…”, se souvient Noah dans Paris Match. “Papa, on a gagné!” C’est tout ce que j’ai trouvé à dire à mon père lorsque je me suis retrouvé dans ses bras. Et lui, pas un mot. Impossible… Bloqué, Papa. Mais on en reparlera plus tard, toute notre vie…”. En cette fin de dimanche ensoleillé, il flotte un parfum d’éternité sur la Porte d’Auteuil. “Une étoile est née”, titre L’Equipe, le lendemain.

Fair-play jusqu’au bout, Mats Wilander classe cette défaite parmi ses meilleurs souvenirs : «Avec le recul, cette finale contre Yannick reste un match différent, estime l’ancien n°1 mondial. Il y avait 30 personnes sur le court central à la fin du match. Je n’avais jamais vu une telle ambiance avant et je n’en ai jamais connue après. En tout cas jamais sur un Grand Chelem. Peut-être certaines fois en Coupe Davis. Et encore. On sentait «un feeling» très particulier entre Yannick et le public français». Avant d’ajouter : «J’en ai souvent reparlé avec Yannick et Henri (Leconte) mais d’une certaine manière, j’ai changé leur vie. Imaginez que j’ai gagné contre Yannick en 1983 et perdu contre Henri en 1988 ?». Le soir même, Noah organise une fête mémorable dans sa maison de Nainville-les-Roches (Essonne), durant laquelle tout le monde termine dans la piscine plus ou moins habillé. Le groupe Téléphone y donne un concert improvisé. La famille, mais aussi Patrice Hagelaueur, Jean-Paul Loth, alors DTN (directeur technique national), l’actrice Annie Girardot, la comédienne et future chanteuse Corinne Charby (célèbre pour «Boule de flipper») ou Gérard Holtz sont de la partie. Vers trois heures du matin, Noah termine la nuit dans la discothèque parisienne Rock’n’Roll Circus. 

Les finalistes Yannick Noah et Mats Wilander – 1983 – Roland Garros

EN CETTE FIN DE DIMANCHE ENSOLEILLÉ, IL FLOTTE UN PARFUM D’ÉTERNITÉ SUR LA PORTE D’AUTEUIL.

Souvent interrogé sur son succès, Yannick Noah n’a jamais voulu s’étendre de façon à ne pas mettre de pression inutile aux autres joueurs français. Mais voici ce qu’il disait en 2013, date des 30 ans de sa victoire, à propos de l’émotion particulière chaque fois qu’il revient à Roland-Garros : «C’est difficile, car je connais tellement tous les recoins de ce stade. J’ai dit à mon dernier fils que j’avais habité ici pendant un an et il était très surpris. Je reste 10 minutes et je revois avec plaisir tant de gens que je connais : d’anciens joueurs, des amis, des gens qui travaillent ici, des enfants de copains devenus grands. Roland-Garros c’est un peu ma maison. J’ai des souvenirs sur quasiment tous les courts : les championnats de France juniors, mon premier match dans le grand tableau sur un court qui est aujourd’hui un restaurant. Je pourrais en citer tellement». Avant de préciser à propos de sa victoire : «Oui, c’est peut-être un destin. Année après année, le temps passe. Les gens continuent d’en parler. J’apprécie que ce moment ait marqué, que les gens aient vécu une émotion particulière. De temps en temps, on ressort les vieilles images. Ça me touche. Sincèrement. Mais après, je ne veux pas trop m’installer là-dedans».